HISTOIRES CORSES
Voici quelques histoires étonnantes concernant des véhicules très anciens et intéressants, qui illustrent assez bien différentes facettes de l'âme et de l'identité Corses, à la fois le bon côté et le caractère un peu vif des habitants de l'île.
Elles m'ont été rapportées par les personnes qui m'ont révélé la présence de ces épaves et il va sans dire qu'elles sont authentiques. Les avoir inventées n'aurait aucun sens.
L'aventurier
Direction un coin perdu dans une région oubliée de tous. Dans les années 30, un jeune ingénieur, qu'aucune famille ne retient plus ici, décide de quitter sa terre natale pour aller refaire sa vie aux antipodes. Il part sans se retourner, ne laissant qu'une petite maison et sa voiture, sagement garée à côté.
Et voici que j'apprends avec stupéfaction que, 80 ans plus tard, elles seraient toujours là !
Touché par ce destin hors normes, je décide, un beau matin de septembre 2010, de partir sur les traces de cet aventurier en me rendant là où tout a commencé et, d'un certain côté, tout a fini pour lui....
"Vous verrez, m'informe-t-on, l'endroit est chargé de mystère et d'émotion".
Après 4 heures de route, j'arrive enfin sur place.
Plan en mains, je n'ai aucun mal à trouver la maison. Je suis saisi par le silence qui règne en ce lieu.
Sans attendre, je commence par visiter le jardin envahi par la végétation. La demeure est ouverte aux quatre vents mais je n'y pénetrerai pas, par respect pour son propriétaire.
Après 10 minutes d'exploration, rien. Je repère alors un passage sur la droite, à travers les arbustes, entre la maison et le mur de soutènement.
Ecartant prudemment les arbousiers sauvages qui l'isolent de la route, je tombe sur un espace réduit, caché par un véritable mur végétal. Amusé, je fais le parallèle avec les Egyptologues partant à la découverte des mystères de la Grande Pyramide....Divers branchages recouvrent le sol. Mon attention est alors attirée par une pointe métallique qui émerge et que je saisis avec précaution.
Certain de toucher au but, je commence à dégager lentement les branches qui, manifestement, recouvrent une forme volumineuse et, après un dernier effort, m'apparaît une aile......
puis les stries d'un capot.....
....puis un train avant......
....et c'est une petite carrosserie qui se dévoile devant moi. Bien sûr, avec les années, la structure bois n'est plus qu'un souvenir, mais je parviens à me représenter la silhouette générale de la bête. Je note que la colonne de direction est toujours en place mais rien, à ce stade, ne permet d'identifier l'engin.....
La forme générale me fait immédiatement penser aux années 20. Il s'agit d'une petite voiture, peut-être biplace. L'absence de moteur ne facilite pas non plus l'identification....
Je trouverai finalement la réponse en examinant les moyeux : sous une couche de graisse poussièreuse que je retire avec d'infinies précautions, je distingue 6 lettres qui me dévoilent enfin l'identité de la machine car je parviens à lire : M.A.T.H.I.S. !!!!
Une MATHIS des années 20 ! Peut-être un modèle 6 HP type P comme celui-ci...
Un peu sonné par cette exhumation, je prends soin de remettre les branchages en place, avec le même respect que les rares personnes m'ayant précédé et je décide de me retirer sur la pointe des pieds, laissant cette MATHIS replonger dans son sommeil auprès de sa maison, dans l'attente, désormais vaine, du retour du maître des lieux.
Feu à volonté !
Impressionnant : cette RENAULT a été victime d'une embuscade sur une petite route, dans les années 30...Une rafale de mitraillette a envoyé son conducteur dans le fossé, sans le tuer, toutefois....Il m'a été rapporté qu'il s'agissait d'un haut fonctionnaire, mais je n'ai pas pu établir son identité avec certitude.... Quoi qu'il en soit, la voiture a terminé sa course couchée sur le flanc gauche et elle est demeurée ainsi...
Je décide de monter la réveiller le 24 février 2010 à 7h00 du matin....Arrivé sur place, je stationne le long de la route et j'emprunte un petit chemin qui contourne un énorme buisson d'épineux.
L'arbre du dessus, en bordure de la chaussée, permet de se représenter l'embardée de la voiture.
Je décide de m'approcher....
Le moteur 4 cylindres est toujours en place. Au prix de quelques contorsions, je parviens à le photographier à l'endroit.
Poussé par la curiosité, je glisse un oeil dans l'habitacle. Le pédalier, le volant et la colonne de direction sont toujours là. Je pense avoir affaire à une Celtaquatre 1937 ou 38.
Pivotant vers l'arrière, je découvre les petits trous de même diamètre qui accréditent la thèse du mitraillage : il ne peut s'agir d'une arme de chasse (les épaves servent souvent de défouloir) et, de plus, la partie arrière est inaccessible car ingérée par le buisson...
Je demeure un instant interdit devant cette actrice rouillée d'une scène de violence, regrettant qu'elle ne puisse m'expliquer plus en détails la mésaventure dont elle fut victime voilà plus de 70 ans....
.....puis je la rends à son buisson qu'elle ne quittera pas de sitôt.
En prison !
Une histoire à peine croyable : un jardin servant de parking privé au bout d'une impasse, dans l'immédiat après-guerre. Un conflit de voisinage au sujet de la largeur du chemin d'accès et une procédure qui aboutit à la construction d'un muret empêchant l'accès au parking.
Petit détail : le muret est érigé alors que les voitures sont dans le jardin, les bloquant irrémédiablement. Et, depuis 60 ans, rien n'a bougé, leur propriétaire ayant épuisé tous les recours légaux pour résoudre ce problème. Aujourd'hui, les protagonistes sont morts mais les 2 voitures, une MATFORD Alsace V8 et une PEUGEOT 201 sont toujours là.
C'est accompagné d'un habitué des lieux que je me rends sur place, un jour de décembre 2010....
Au bout de l'impasse, je remarque que la barrière en bois d'un mètre de large est bien la seule porte d'entrée pour accéder au terrain.
La MATFORD est là. Dans un premier temps, je ne vois pas la 201 et je me dis qu'elle a peut-être été tronçonnée et sortie par petits morceaux puisque ce serait le seul moyen de l'extraire.....
...lorsque en y regardant de plus près, j'aperçois je chassis de la 201 reposant sur le capot de la MATFORD, posé sur ses roues arrières !!! Sans doute la mécanique a-t-elle été récupérée depuis toutes ces années. Le petit jardin est entouré de hautes maisons austères. Seul un hélicoptère pourrait désormais les sortir de là....
Compatissant à ce destin funeste, je laissse ces 2 captives à leur sort et je passe à nouveau cette barrière. La MATFORD me jette un regard envieux car cette seule porte de sortie vers la liberté est désormais hors d'atteinte pour elle, qui s'était pourtant garée en marche à sa place habituelle un soir, il y a plus de 60 ans, sans se douter de rien...
L'indivision
"Sport national" en Corse, l'indivision conduit à des situations de blocage.
Si les héritiers ne demandent pas le partage des biens, ils se retrouvent en indivision or, pour les biens immobiliers, l'unanimité est requise sous peine de blocage de la succession.
Cette petite maison risque ainsi de rester longtemps en l'état, avec ce qu'elle abrite... Approchons-nous...
Nous constatons que le temps s'est arrêté dans ce petit atelier qui fleure bon les années 30... Tout semble immobile, comme figé dans le temps....
Belle ambiance, n'est ce pas ? Il ne manque qu'une voiture au décor.......... La voici !!!
Il s'agit d'un cabriolet PEUGEOT 201 de 1930, stocké sur cales, paré pour une longue hibernation...
Jetant un coup d'oeil à l'arrière, j'aperçois le spider encore en place...
...de même que les compas de l'armature de la capote
Donnez-vous la peine d'entrer.......
Serrez-vous un peu....
Accrochez-vous, je mets le contact...
... je lâche le frein à main et crac ! je passe la première ! C'est parti !
Voilà, la promenade est terminée. L'heure est venue pour cette petite lionne de retourner à sa solitude, dans l'attente d'un redémarrage qui n'aura, cette fois, rien de virtuel.
En la quittant, je lui promets de passer prendre de ses nouvelles de temps en temps. Allez refuser ça à un regard si attendrissant.....